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Un avion blanc survolant un fond rouge au Musée canadien de l'histoire à Ottawa.

Qu’est-ce qui est canadien? Musique populaire et identité nationale

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Publié

12 aout 2025


En 2025, l’absence de définition unique et convenue de ce que signifie être Canadien ou Canadienne n’est guère surprenante. Pourtant, le mot est souvent utilisé, presque de façon irréfléchie. Nous supposons souvent que nous en connaissons la signification, même si la « canadianité » est depuis longtemps complexe et ambigüe.

Par exemple, qu’est-ce que la « musique populaire canadienne »? Est-ce que ça existe?

CanCon et MAPL

Dans les années 1970, le gouvernement fédéral a commencé à règlementer la quantité de contenu canadien diffusé à la radio. C’était en réponse à des facteurs comme l’invasion britannique des années 1960, époque où des groupes tels que les Beatles et les Rolling Stones dominaient les ondes. Cette situation et l’influence considérable de la culture populaire américaine ont été perçues par beaucoup comme des menaces pour l’indépendance culturelle du Canada.

La popularité de la pop et du rock américains et britanniques a également rendu la vie difficile aux artistes du Canada. Il y a quelques exceptions notables, comme Anne Murray et Gordon Lightfoot, mais au Canada anglais, nombre d’artistes ont dû traverser la frontière pour réussir.

Devant cette situation, des activistes de la base comme Walt Grealis et Stan Klees ont cherché à renforcer le soutien aux musiciennes et musiciens canadiens. Dans une série d’articles parus dans RPM Weekly, M. Klees a demandé au gouvernement fédéral de règlementer la programmation des émissions de radio. Il soutenait que des quotas minimums de contenu canadien créeraient une demande de talents canadiens et feraient connaitre leur existence (un exemple figure à la page 3 de ce numéro).

Un ensemble de jogging rose avec de nombreuses perles brillantes créant des rayures verticales

L’artiste de renommée internationale Anne Murray a porté cet ensemble de jogging perlé à la main lors de ses spectacles dans les années 1970.

Musée canadien de l’histoire, 2018.299.1,1-.2

La solution proposée par le gouvernement est connue sous le nom de « CanCon » (contenu canadien). Cette règlementation imposait un minimum de 30 % d’enregistrements canadiens sur les ondes canadiennes. Pour être admissible, une chanson devait correspondre à au moins deux des quatre critères MAPL :

  • Musique
  • Artiste
  • Production
  • Lyrics (paroles)

En 1973, des exigences concernant la musique vocale de langue française (MVF) ont également été mises en place pour les stations francophones. Elles prescrivaient que la majorité des chansons diffusées à la radio soient chantées en français.

Ces mesures ont fait l’objet de vigoureux débats, à l’époque et depuis. Néanmoins, on estime généralement que la règlementation sur le CanCon a rendu viable l’industrie de la musique populaire au Canada, pratiquement du jour au lendemain. Lorsque la demande de contenu national s’est concrétisée, les entreprises soutenant la création et la distribution de ce contenu n’ont pas tardé à suivre.

Plus que le MAPL

Le système MAPL a été conçu pour la musique enregistrée et diffusée à la radio. Toutefois, il ne tenait pas compte des artistes actifs et influents sur les scènes musicales locales qui n’avaient pas accès à une exposition grand public.

Nombre d’artistes autochtones, de race noire, en région rurale, 2ELGBTQIA+ et féminines se sont heurtés à des obstacles au cours des premières années de formation de l’industrie de la musique populaire au Canada. Au cours de cette période, des palmarès canadiens ont été créés, des systèmes de récompenses ont été mis en place et la culture de la musique populaire a pris une forme « canadienne ». Si les artistes n’avaient pas accès à des possibilités d’enregistrement et de diffusion à la radio, il leur était extrêmement difficile d’atteindre un public national, en dépit de leur impact important en tant qu’interprètes.

Cela nous ramène à notre question épineuse : qu’est-ce que la musique « canadienne »?

A record player with a space-age design, placed on a narrow pedestal and covered with a plastic dome, with small spherical speakers on the floor to either side.

La chaine stéréo s’est répandue dans les années 1960 et 1970. Elle a contribué à façonner la façon dont le public écoutait la musique populaire à la maison. Cette chaine stéréo Electrohome Circa 711 est un exemple datant d’environ 1970.

Musée canadien de l’histoire, 2006.41.1-3 a-b

Définir la canadianité

Les règlements comme le MAPL portent sur les personnes qui écrivent et jouent de la musique, ainsi que sur les endroits où elles se produisent. Cependant, ils ne rendent pas pleinement compte du travail créatif des artistes, du rôle actif de l’auditoire ou de la nature complexe de l’identité et de l’appartenance.

Par exemple, une œuvre est-elle « canadienne » de par le lieu de naissance de l’artiste? Que se passe-t-il si l’artiste s’installe dans un autre pays ou conserve la nationalité d’un autre pays tout en faisant sa vie et en jouant de la musique au Canada? Ou si cette personne vit au Canada, mais ne se considère pas « Canadienne »? La résidence, la citoyenneté, les frontières nationales et l’identité ne vont pas toujours de pair.

Y a-t-il une sonorité particulière que nous devrions plutôt rechercher? Des instruments ou des genres associés à des lieux ou à des scènes du Canada pourraient-ils devenir des marqueurs d’identité? Il serait difficile et problématique de les choisir et de les reconnaitre. Pouvons-nous laisser entendre sans hésiter que des expressions culturelles issues de communautés, d’époques et de lieux précis peuvent être utilisées pour représenter un pays aussi vaste et varié? Qui en décide?

Par ailleurs, on pourrait affirmer que la « canadianité » se manifeste dans les textes, par exemple :

  • la description vivante de la vie d’une ouvrière dans « La vie d’factrie », de Clémence DesRochers;
  • la puissante « Ballad of Crowfoot» de Willie Dunn au sujet du chef siksika qui a négocié le Traité 7 au nom de la Confédération des Pieds-Noirs;
  • les éloges du Canada par Michie Mee dans des chansons comme « Canada Large »;
  • « Bud the Spud » de l’Île-du-Prince-Édouard, l’un des nombreux personnages du vaste répertoire de Stompin’ Tom Connors.

Bien qu’il y ait un certain attrait à s’intéresser aux paroles chantées par les artistes, les textes sont souvent ambigus. Est-ce que seule la musique faisant ouvertement référence à un lieu peut être considérée comme canadienne? Qu’arrive-t-il si quelqu’un écrit une chanson qui fait référence à Winnipeg, à Montréal et à la Jamaïque? Ou si cette personne décrit de façon évocatrice une patinoire ou un magasin de quartier de son enfance sans en indiquer l’emplacement sur une carte?

Le problème des définitions

Si nous pouvions nous entendre sur une définition de la « musique populaire canadienne », devrions-nous le faire? C’est une question compliquée et imprécise qui comporte d’autres risques.

Les définitions peuvent être plus ou moins inclusives. Si certains critères servent à définir ce qui est « canadien », il va de soi que d’autres ne le font pas. Qui est inclus et qui est exclus? Tout comme les définitions étroites peuvent exclure, elles peuvent également être imposées aux artistes qui ne souhaitent peut-être pas qu’on les qualifie de « Canadiennes » ou de « Canadiens ». Les suppositions au sujet du Canada et de la canadianité occultent les vraies questions sur l’idée même de nation. Cette situation est particulièrement délicate dans un pays où les débats sur l’idée de nation, le colonialisme, le multiculturalisme et l’appartenance se poursuivent.

Une camisole noire ornée d’un drapeau canadien où la feuille d’érable a été remplacée par une représentation stylisée d’une personne autochtone portant des plumes au-dessus des lettres « AIM ». Au-dessus du drapeau on peut lire « Original Landlord », qui signifie « Propriétaire d’origine »

Brian Wright-McLeod a conçu ce débardeur pour promouvoir Renegade Radio, une émission de radio consacrée à la musique et aux questions autochtones. Nombre d’activistes et d’artistes autochtones remettent en question les normes et les symboles du nationalisme canadien.

Musée canadien de l’histoire, 2021.59.1

La musique populaire est paradoxale; elle offre une expérience à la fois très personnelle et vécue par un très grand nombre. Il en va de même pour nos expériences du lieu, de l’appartenance et de l’identité. La combinaison d’idées diverses sur l’identité et de réponses très individuelles à la musique donnera inévitablement lieu à un débat sans fin. Une conversation continue ne serait peut-être pas un mauvais point de départ.

Les liens entre la musique, l’identité et l’idée de nation sont explorés dans l’exposition spéciale Rétro – la musique populaire au Canada des années 60, 70 et 80, à l’affiche jusqu’au 18 janvier 2026.

Photo de Judith Klassen

Judith Klassen

Judith Klassen est ethnomusicologue et conservatrice, Musique et arts de la scène, au Musée. Outre la recherche et le développement de collections dans les domaines du son, des arts de la marionnette et d’autres aspects des expressions culturelles, elle participe actuellement à un projet portant sur les histoires complexes et parfois mythifiées de la musique populaire au Canada.

Lire la notice biographique complète de Judith Klassen
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