Boite à histoires

Le peuple de la broderie perlée florale

Bonjour. Je m’appelle Karen Andersen.

Bien que biologiquement, je sois Danoise et Métis, je m’identifie comme Métis, puisque je n’ai pas grandi avec la famille danoise de mon père autant qu’avec ma famille métisse. Lorsque vous pensez au peuple métis, quelle est la première chose qui vous vient à l’esprit?

Ils sont souvent appelés : « le peuple de la broderie perlée florale » (un nom qui nous a été donné par nos parents des Premières nations, puisque nous évoquions notre environnement par de grandes et splendides broderies perlées fleuries).

Nos ancêtres ont beaucoup vécu, et cette vie est représentée dans leur travail artistique, par divers moyens créatifs (soit par la broderie perlée, la broderie, la peinture, la danse, la cuisine… tout ce qui compose une culture). Par contre, nos ancêtres ne représentaient pas tout ce qui leur arrivait dans leur art. Lorsque j’ai commencé à penser à comment je voulais fabriquer ces sacs, je savais que je voulais représenter leurs vies (celles de mes ancêtres) dans les réserves routières, mais cela s’avérait difficile. Mes grands-parents étaient parmi les centaines de familles métisses qui, tout en élevant une famille, travaillaient dur, ont été déplacés et n’avaient nulle part où aller. Ils ont fini par vivre cinq ans sur une réserve routière et avaient déjà quatre ou cinq enfants, dont ma mère.

Je suis attirée par l’énormité de ce que mes ancêtres ont vécu afin de survivre : trouver des vêtements pour tous leurs enfants, de la nourriture, un toit, de l’eau… tous les éléments essentiels à la survie, en plus du racisme et de la pauvreté. Mais, il y a une chose que j’ai apprise de ma famille, c’est qu’ils sont bruyants, colorés, brillants et qu’ils vivaient à un moment où ils étaient tissés très serrés.

Dans ma broderie et ma broderie perlée, j’ai des perles et des points tellement serrés qu’on dirait qu’il n’y a pas assez de place pour tout mettre. Cela me rappelle les familles qui vivaient bien entassées dans des maisons à deux chambres à coucher, avec six enfants ou plus. Ils étaient bruyants, colorés et brillants, même s’ils vivaient à une époque où il y avait très peu de raison d’être vibrant et coloré. Du point de vue artistique, je suis en quelque sorte poussée à raconter leur histoire. Pour moi, c’est comme si je tissais ensemble le passé et le présent pour actualiser les classiques.

Je commence chaque pièce avec le cœur et l’esprit ouverts, avec la seule intention de capturer l’esprit de ce que je ressens que mes ancêtres auraient vu, utilisé ou eux-mêmes brodé. De toute évidence, je ne peux pas récréer ce qu’ils ont fait, mais j’espère que ma version leur rendra justice.

J’ai examiné des pièces d’art et étudié la forme des fleurs. J’ai joué avec les couleurs et honnêtement, je n’ai planifié aucune des pièces (sauf la rose bleue et ce qui a suivi) parce que je l’ai fait avec la présence de mes ancêtres. Je les sens me guider lorsque mon aiguille remonte et fixe les perles, ou lorsque je couds deux pièces ensembles.

Au tout début, lorsque j’ai commencé à créer les sacs, je ne savais pas trop à quoi je voulais qu’ils ressemblent, et encore moins la taille qu’ils devaient avoir. Je venais de terminer un sac de broderie perlée, dans notre groupe de femmes autochtones ici à Moose Jaw, et notre ainée nous a dit qu’un sac devrait avoir la taille de la main du porteur du sac. Je suis plutôt grande et j’ai de très grandes mains. Voilà pourquoi les sacs peuvent avoir l’air si grands. (rires)

Mais sérieusement, j’ai fait la première série de sacs avec du velours noir. Normalement, on brode directement sur le tissu ou le cuir, mais le velours est si léger et doux que les perles seraient déséquilibrées et le tissu ne tomberait pas bien. Donc la majorité des sacs ont une doublure ou un stabilisateur au dos pour maintenir l’intégrité et la rigidité du sac.

Les sacs sont faits de divers matériaux, mais au tout début, ils auraient été faits de vessies de bison (ou de vessies de tout autre animal qu’ils auraient pris). Toutes les parties du bison étaient utilisées et on ne perdait rien. Chaque partie de l’animal a son utilité et était traitée ainsi. Par exemple, les os auraient été finement sculptés pour en faire des aiguilles à coudre, et les tendons leur auraient servi de fil.

Au fil du temps et du progrès naturel, l’utilité des sacs a évolué. Éventuellement, ils ont été faits de peaux animales brutes ou tannées. Les sacs étaient aussi faits de laine ou de lainage de Stroud, en combinaison avec la peau d’animal.

Deux des sacs ont des motifs de fruits : des bleuets et des fraises. J’ai été très chanceuse de trouver une femme autochtone (Autochtone nouveau) qui fabriquait des sacs décorés de fraises et de bleuets, mais presque entièrement en pointillisme. Bien que les sacs brodés de bleuets ne ressemblent pas vraiment à des bleuets (ils sont beaucoup plus difficiles à réussir avec du fil qu’on ne le croit), j’ai ajouté un complément de tissu afin que la personne qui tient le sac identifie que ce sont bien des bleuets et des fraises qui y figurent.

J’ai choisi des fleurs et des fruits qui selon moi étaient essentiels à la survie de notre peuple métis (ainsi que tout ce qu’ils trouvaient de plus : poisson, orignal, chevreuil, lapin, petits fruits, grains, etc.).

Remarquez bien que l’un des sacs en velours est orné de pissenlits, et plusieurs doivent penser, « pourquoi a-t-elle fait un sac avec des pissenlits? C’est une mauvaise herbe. » Il s’avère que cette mauvaise herbe abondante fait partie des super aliments. Mais à leur époque, personne n’aurait su ni ne se serait préoccupé de ce qu’est un « super aliment ». Ils utilisaient les pissenlits pour de nombreuses raisons, notamment en tisanes et en teintures. La nature fournissait tout ce dont ils avaient besoin, dans leurs vies.

Cette expérience a été pour moi un grand plaisir. J’ai toujours hâte de rentrer du travail et de poursuivre mon travail sur une fleur, jusqu’à l’heure du coucher. Je trouve le travail de broderie perlée thérapeutique et relaxant, et je trouve beaucoup de paix lorsque les perles tombent en place, et que je peux les fixer là où elles doivent être. Elles ne tombent pas toutes parfaitement en place, donc je fais ce que je peux avec ce que j’ai.

J’ai eu un instructeur au Fiddle Fest qui nous enseignait la broderie perlée, nous a parlé des « perles de l’esprit ou de l’honneur ». Ce sont des perles d’une couleur différente que nous glissons dans l’œuvre d’art pour faire savoir à nos ancêtres que nous ne sommes pas parfaits, mais assez humbles pour admettre nos erreurs.