Musée virtuel de la Nouvelle France

Les explorateurs

Pierre de Troyes 1686

Du passé de Pierre de Troyes, on connaît peu de détails. Celui qui a laissé sa marque à la baie d’Hudson, dans le secteur de la baie James actuelle, et qui est mort au fort Niagara, était champenois ou normand. Fils de Madeleine Alard et de Michel de Troyes, procureur au Parlement de Paris, il était marié depuis 1681 et membre du corps des officiers du régiment du Piémont. L’endurance et l’intrépidité dont il a fait preuve permettent de supposer qu’il avait moins de 40 ans lors de son arrivée en Nouvelle-France.

Itinéraire

ChevalierDeTroyes 1686
ChevalierDeTroyes 1686

Pour le contrôle du commerce

Désigné le 5 mars 1685 pour être capitaine d’une compagnie de la Marine servant déjà dans la colonie, Pierre de Troyes débarque à Québec le 1er août 1685. À bord du navire se trouve le gouverneur Jacques-René de Brisay, marquis de Denonville, successeur d’Antoine Le Febvre de La Barre.

Dès son arrivée, Denonville endosse les vues de la Compagnie du Nord ou Compagnie française de la baie d’Hudson, formée cinq ans plus tôt à l’instigation de Charles Aubert de La Chesnaye. Comme les associés de la compagnie, il veut reprendre le fort Bourbon, érigé en 1682 à la baie d’Hudson, et s’emparer des établissements occupés ou construits par les Anglais. Le nouveau gouverneur accepte donc que l’expédition, qu’il prépare pendant l’hiver 1685-1686, soit financée par la Compagnie du Nord.

L’homme du gouverneur

Le 12 février 1686, Denonville ordonne « au sieur de Troyes » de quitter Québec « pour aller occuper des postes sur les côtes de la baie du Nord ». La troupe est formée de 30 soldats et de 70 Canadiens choisis pour leur habileté à voyager, canoter et se battre. Un tambour, un interprète, un ou plusieurs charpentiers et un forgeron font partie du groupe qui transporte épées, outils, pics, pioches et pelles. Trois frères appelés à devenir célèbres dirigent chacun une section formée d’une trentaine d’hommes. Il s’agit des montréalais Pierre Le Moyne d’Iberville, Paul Le Moyne de Maricourt et Jacques Le Moyne de Sainte-Hélène.

Le 30 mars, après avoir assisté à une messe à l’église Notre-Dame de Montréal, les troupes prennent la direction de la rivière des Prairies. Du lac des Deux-Montagnes, ils obliquent vers la rivière des Outaouais. Le 9 avril, ils remontent le Long-Sault (rapides de Carillon) et, deux jours plus tard, ils atteignent le portage de la Chute-à-Blondeau. Le 1er mai, ils campent sur le site du futur fort Coulonge où, fidèles à la tradition, les hommes plantent un mai et tirent une salve devant les tentes de Pierre de Troyes et des frères Le Moyne.

De la rivière Abitibi à la baie James

Le 10 juin, alors que le groupe est sur le point d’atteindre le confluent des rivières Abitibi et Moose, un canot chavire emportant Noël Leblanc, l’un des meilleurs Canadiens de la troupe. Débouchant dans la baie James actuelle vers le 19 juin, de Troyes doit choisir la première de trois cibles : les forts Monsoni (Moose Factory), Rupert (Charles) et Quichichouane (Albany), tous situés au fond de la baie James. Monsoni est proche et d’accès facile. Le 20 juin, revenant d’une expédition de reconnaissance sur la rivière Monsoni, d’Iberville assure qu’il est « temps de marcher ». Un bélier a été fabriqué et les épées affûtées !

Une cascade d’attaques et de victoires

Toujours le 20 juin 1686, les hommes encerclent le fort Monsoni, neutralisent le canon anglais, reprennent La Sainte-Anne, un vieux voilier dont les Anglais s’étaient emparés, et investissent la place l’épée à la main. « J’eus, pour lors, écrit le chevalier de Troyes, beaucoup de peine à arrêter la fougue de nos Canadiens qui, faisant de grands cris à la façon des sauvages, ne demandaient qu’à jouer des couteaux. » L’opération a duré une demi-heure.

Le capitaine hésite entre une attaque contre le fort Rupert, situé sur la rivière Nemiskau, ou contre le fort Quichichouane, sur la rivière Sainte-Anne ou Albany. Il choisit Rupert, où un navire est ancré. Il sera utile dans l’attaque de Quichichouane. Sainte-Hélène, le voilier qui s’est chargé de l’expédition de reconnaissance, revient le 2 juillet annonçant que la voie est libre. Les troupes partent en canot d’écorce et, à une date qui n’est pas précisée dans le récit du chevalier de Troyes, elle s’emparent du navire et du fort Rupert sans avoir vraiment dû combattre, la charge ayant eu lieu en pleine nuit. Après avoir embarqué sur le navire les meubles et les objets de valeur qui se trouvaient dans le fort, celui-ci est détruit.

Revenu au fort Monsoni à la mi-juillet, de Troyes prépare la suite de la campagne. La prochaine étape s’accomplira en voilier pour une partie des troupes et à bord du navire pour les hommes qui accompagnent d’Iberville. Le 23 juillet, ils assiègent le fort Quichichouane, mais l’ultimatum servi à Henry Sergeant, son gouverneur, n’a pas provoqué la capitulation espérée. Les vivres manquent. Un vœu des troupes à sainte Anne produit l’effet escompté. « Le vent changea tout à coup et nous amena notre bâtiment avec huit pièces de canon pour la batterie, qui ronfla le 25, veille de sainte Anne. » Le 26, après les négociations d’usage autour de bonnes bouteilles de vin d’Espagne, les Anglais se rendent. Quichichouane est renommé fort Sainte-Anne !

Le plus capable de nos capitaines

Le 10 août 1686, le chevalier de Troyes confie à d’Iberville la garde du fort Monsoni et revient à Québec. Quelques semaines après son retour, Denonville exprime sa satisfaction au marquis de Seignelay, ministre des Colonies :

« Le sieur de Troyes est le plus intelligent et le plus capable de nos capitaines ; il a l’esprit tel qu’il faut pour avoir tous les ménagements nécessaires pour commander aux autres. On ne saurait avoir une meilleure conduite que celle qu’il a eue dans l’entreprise du Nord car il lui a fallu du savoir-faire pour tirer des Canadiens les services qu’il en a eus et pour les mettre dans l’obéissance ».

Les qualités du chevalier de Troyes expliquent pourquoi il commande l’une des quatre troupes parties pour le fort Frontenac, au mois de juin 1687, dans le cadre d’une assemblée de paix. Elles expliquent aussi pourquoi on lui confie, peu après, le commandement du fort Niagara et d’une centaine d’hommes. C’est là qu’il meurt, le 8 mai 1688, victime du scorbut ou des fièvres provoquées par la consommation d’aliments avariés. Quelques semaines plus tôt, les rares survivants avaient fomenté un complot pour tuer le chevalier de Troyes et s’élire un commandant de leur choix.