Musée virtuel de la Nouvelle France

Les explorateurs

Nicolas Perrot 1665-1689

Nicolas Perrot a été un grand explorateur. Bien qu’il eût donné à quatre gouverneurs de la Nouvelle-France cent preuves de ses talents de négociateur et de diplomate, on n’hésita pas à le renvoyer à ses terres, à une misère en partie attribuable à son désintéressement. Né en France entre 1641 et 1644, peut-être à Darcey, en Bourgogne, où son père a été lieutenant de justice, Nicolas Perrot aurait été élève des Jésuites. C’est du moins ce que laissent supposer son érudition, son écriture et le contexte de sa venue au Canada où on le rencontre dès 1660 comme interprète et donné des Jésuites. Selon le père François-Xavier de Charlevoix, Nicolas Perrot était « un homme d’esprit, d’assez bonne famille et qui avait fait quelques études ». Le même auteur précise que « la nécessité avait obligé Perrot de se mettre au service des Jésuites ».

Itinéraire

Perrot 1665-1689
Perrot 1665-1689

Au service des autres

Nicolas Perrot suit ses maîtres dans la région de la baie des Puants (Green Bay), devenant l’un des premiers Français à entrer en contact avec les tribus de l’ouest des Grands Lacs et en particulier avec celles de l’actuel État du Wisconsin. Quand il séjourne chez les Poutéouatamis du lac Michigan, en 1665, il est libéré de son engagement depuis quelque temps déjà. Il troque alors des fourrures contre des fusils, permettant à ce groupe de se défendre à armes égales contre des ennemis qui en abusent déjà. Surnommé la « traite du fer », ce troc lui vaut l’amitié du chef qui le vénère comme un dieu. En quelques mois, il raffermit les liens noués au cours des pérégrinations précédentes.

Perrot est de retour à Ville-Marie la même année. L’expérience ne l’a pas enrichi puisqu’il est domestique chez la veuve de Jacques Testard avant d’entrer au service des Sulpiciens. Associé dans une compagnie de traite qu’il forme avec trois colons montréalais, le 12 août 1667, Perrot retourne à la baie des Puants. Encore une fois, les liens qu’il noue sont plus profitables que les pelleteries qu’il ramène.

L’interprète

S’il est pauvre, Nicolas Perrot est pourtant assez réputé pour que l’intendant Jean Talon le désigne pour servir d’interprète à Simon-François Daumont de Saint-Lusson en septembre 1670. Ce dernier doit rechercher « de la mine de cuivre au pays des Outaouais, Nez-Percés, Illinois et autres nations découvertes et à découvrir en l’Amérique Septentrionale du côté du lac Supérieur ou mer Douce » et s’enquérir « soigneusement s’il y a par lacs et rivières quelque communication avec la mer du sud, qui sépare ce continent de la Chine ». Deux mois plus tard, Robert Cavelier de La Salle sera expédié vers la mer Sud, pour trouver « l’ouverture du Mexique ».

On attribue à l’influence de Nicolas Perrot sur les tribus de l’ouest, le rassemblement du 4 juin 1671 au Sault Sainte-Marie. Ce jour-là, les représentants de quatorze nations appuyèrent la prise de possession au nom de Louis XIV, du territoire allant de la mer du Nord et de la mer de l’Ouest à la mer du Sud, incluant les terres à découvrir. Dès son retour à Québec à la fin de l’été, Daumont de Saint-Lusson exige la saisie des fourrures ramenées par Perrot. Ainsi privé de ressources, l’explorateur commence à vivre sous la pression de créanciers.

Les aléas de la guerre

Son ascendant sur les tribus de l’ouest sera plus d’une fois sollicité par les dirigeants de la colonie. En 1684, il participe à la mission de paix du gouverneur Lefebvre de La Barre en recrutant plusieurs centaines de guerriers disposés à se battre contre les Iroquois. Il chemine avec eux et Daniel Greysolon Dulhut en direction de Niagara quand il apprend que, pour conclure la paix avec les Iroquois, La Barre a sacrifié les tribus de l’ouest contre lesquelles les Iroquois auront beau jeu de se tourner.

Cette expédition l’a placé dans une situation financière dont il ne s’extirpera jamais. Le désarroi dicte le mot adressé à l’un de ses créanciers au mois d’août 1684 : « Je n’aurais pas tant tardé à vous aller voir et tous ceux à qui je dois, si j’avais apporté les pelleteries que j’ai laissées (à Michillimakinac) par le commandement qu’on m’a fait de venir en guerre […] Si j’en jouissais, je serais hardi d’aller trouver mes créanciers plus que je ne suis. »

L’homme aux jambes de fer

En 1685, Perrot est nommé commandant en chef du territoire dont Daumont de Saint-Lusson a pris possession quatorze ans plus tôt. Même si ses pouvoirs sont réduits peu après, il exécute sa mission. Il maintient le lien fragile qui subsiste entre les peuples qu’il connaît déjà et s’assure que leurs fourrures sont réservées aux Français. Celui que les Amérindiens surnomment « Metamiens » ou « l’homme aux jambes de fer » revient dans la colonie au printemps de 1688. Il a voyagé à travers les actuels Minnesota et Wisconsin et sur le Mississippi vers le nord. À la Prairie-du-Chien, au cœur du territoire sioux, il a construit le fort Saint-Antoine.

À peine est-il arrivé qu’il repart pour d’autres négociations, celles-là commandées par le gouverneur Brisay de Denonville. Négligeant ses propres intérêts, Nicolas Perrot reprend la route de l’ouest. Au printemps 1689, il peut dresser un bilan remarquable. À la jonction du Mississippi et de la rivière Wisconsin, il a érigé le fort Saint-Nicolas, et le 8 mai de la même année, il a pris possession du territoire formé par « la baie des Puants, lac et rivières des Outaganis et Maskoutins, rivière de Ouiskouche et celle de Mississippi, pays des Nadouesioux, Rivières-Sainte-Croix et Saint-Pierre et autres lieux plus éloignés. »

La paix de Montréal

Un an plus tard, la France et l’Angleterre étant en guerre, Perrot parlemente avec ses vieux alliés. Il obtient la garantie qu’ils ne suivront pas les Iroquois dans une guérilla qui a culminé avec l’assaut du 4 au 5 août 1689 contre le village de Lachine, sur l’île de Montréal. Dans une lettre adressée le 20 novembre 1690 au ministre des Colonies, le gouverneur Frontenac écrit que « Le sieur Perrot s’est acquis, par la longue pratique et connaissance qu’il a de l’humeur, des manières et de la langue de toutes les nations d’en haut, beaucoup de crédit parmi elles. » Ce crédit-là est bien inutile quand Perrot n’est pas dans l’ouest.

Le diplomate a mis fin à sa vie publique en 1696, mais en 1701, il fait une dernière apparition sur la scène diplomatique. Cette fois, c’est le gouverneur Louis-Hector de Callière, désigné à ce poste le 20 avril 1699, qui requiert ses services. Voulant mettre fin aux guerres franco-iroquoises, Callière rallie une trentaine de tribus amérindiennes autour d’un accord qui garantit leur neutralité en cas de conflit entre l’Angleterre et la France. Interprète des nations de l’ouest, Perrot joue son dernier rôle public. La « Paix de Montréal » est signée le 4 août 1701, devant plus de mille trois cents délégués amérindiens. Au chef des Poutéouatamis qui réclame la présence de Perrot parmi son peuple pour cimenter la paix nouvelle, Frontenac répond par un refus.

Les Mémoires

En 1671, Nicolas Perrot avait épousé Madeleine Raclos et comme de nombreux négociants de fourrures et de coureurs des bois, il s’était fixé dans la région des Trois-Rivières, vivant à Champlain et à Bécancour où sa femme a donné naissance à onze enfants.

Lorsqu’il prend sa retraite en 1696, sa pauvreté est réelle et définitive. Ceux qui ont eu recours à ses services ne sont plus là. Ceux qui sont en place refusent de reconnaître l’importance du rôle qu’il a joué gratuitement, allant jusqu’à assurer personnellement le salaire de ses compagnons de voyages. Le mépris des fonctionnaires lui vaut d’être désormais désigné simplement sous l’expression du « nommé Perrot ». Il acceptera la charge de capitaine de milice de Bécancour. La seule faveur qu’on lui ait jamais consentie est une séparation de biens destinée à protéger sa femme et ses enfants contre la saisie de ses biens.

Nicolas Perrot est mort le 13 août 1717 à Bécancour. Il avait consacré beaucoup de temps à la rédaction d’un résumé de ses souvenirs qu’il destinait à l’intendant Michel Bégon. Les dernières lignes de ce texte illustrent la réalité de son dénuement : « La disette de papier ne me permet pas de m’étendre sur ces sortes de harangues, comme j’aurais lieu de le faire, si je n’en avais pas été dépourvu. » Le témoignage de Nicolas Perrot n’est devenu public qu’en 1864, lors de sa publication à Paris, sous le titre de Mémoire sur les mœurs, coustumes et religion des sauvages de l’Amérique Septentrionale.