Musée virtuel de la Nouvelle France

Les explorateurs

Charles Albanel 1672

Le jésuite Charles Albanel est-il né en Auvergne en 1616, de parents français, ou de parents anglais en 1613? Des années qui ont précédé sa venue en Nouvelle-France, on sait peu de choses. Entré au noviciat des Jésuites de Toulouse, le 16 septembre 1633, il amorce sa carrière en enseignant dans divers villages du royaume. Au printemps de 1649, il s’embarque pour le Canada. Énergique et opiniâtre, mais obscur et sans panache, méprisé par ses supérieurs, Charles Albanel a relevé le défi d’atteindre la baie d’Hudson par voie de terre.

Itinéraire

Albanel 1672
Albanel 1672

Le compagnon de Jean de Quen

Charles Albanel arrive à Québec à bord de l’un des trois navires qui y accostent le 23 août 1649. Vers la fin du mois suivant, il se rend à Ville-Marie. Il y rejoint son confrère Jean de Quen qui, deux ans plus tôt, a exploré le lac Saint-Jean. Pendant que le premier préside aux sépultures des « Montréalistes », Albanel officie aux baptêmes. En 1650, les deux jésuites hivernent à la mission de Tadoussac qui est alors dirigée par Jean de Quen.

La mission de Tadoussac s’étend sur les deux rives du Saint-Laurent et il n’est pas rare de voir les missionnaires traverser «le grand chemin qui marche» ou s’aventurer sur le territoire pour aller à la rencontre des Autochtones. Au cours des dix hivers qui vont suivre, Albanel surmonte des épreuves dont il minimisera plus tard la sévérité.

Les années d’itinérance

Après des années de silence, on retrouve Charles Albanel dans la région des Trois-Rivières. En 1660, il côtoie Pierre-Esprit Radisson et Médard Chouart des Groseilliers qui reviennent d’une expédition de traite au lac Supérieur avec 300 Amérindiens et 60 canots remplis de fourrures. À la mi-août, Albanel s’absente temporairement pour accompagner les Autochtones qui retournent aux Grands Lacs.

En 1666, Albanel est l’un des quatre aumôniers des troupes du régiment de Carignan dirigées par Alexandre de Prouville de Tracy. En janvier, il accompagne le détachement d’hommes qui, chaussés de raquettes, partent de Québec pour aller effrayer les Iroquois de la rivière Richelieu. Il participe, en septembre, à une marche similaire qui ramène les soldats vers les rives du lac Champlain.

Chercher le chemin entre la mer du Nord et la mer du Sud

Quand et comment Charles Albanel s’est-il fait remarquer des autorités de la colonie? On sait que, le 10 novembre 1670, Jean Talon s’inquiète de la présence de « deux vaisseaux Européens qui cabannent […] assez pres de la baye d’Hudson » et du rôle qu’a pu jouer « un nommé Desgroseliers autrefois habitant de Canada  » dans leur présence à cet endroit. Le 11 novembre de l’année suivante, l’intendant écrit : « Il y a trois mois que J’ay fait partir avec le Père Albanel, jésuite, le sr de St Simon jeune gentilhomme de Canada […] ; ils doivent pousser jusqu’à la baye d’hudson, faire des memoires sur tout ce qu’ils decouvriront, lier commerce de pelleteries avec les sauvages et surtout reconnoistre s’il y a lieu d’y faire hiverner quelques bastiments pour y faire un entrepost qui puisse un jour fournir des rafraichissements aux vaisseaux qui pourront cy apres descouvrir par cet endroit la communication des deux mers du nord et du sud. »

Enfin, la baie d’Hudson!

Charles Albanel, Paul Denis de Saint-Simon et Sébastien Provencher se rejoignent à Tadoussac, le 8 août 1671. Ils sont au lac Saint-Jean quand la présence d’Anglais à la mer du Nord leur est confirmée. Au risque de retarder leur départ, ils envoient chercher leurs passeports (lettres officielles signées du gouverneur, de l’intendant et de l’évêque). Le 1er juin 1672, après un hivernement pénible, les trois hommes repartent accompagnés de 16 canoteurs amérindiens.

Cinq jours plus tard, ils atteignent Paslistaskau, la ligne de partage des eaux « qui divise les terres du Nord & du Sud ». Le 18 juin, ils entrent dans le lac Mistassini. Exception faite de Guillaume Couture, qui s’y était rendu en 1661, aucun Français ne s’était aventuré plus loin. Le 25, la rivière Rupert et le lac Nemiskau s’ouvrent aux trois canots. Plus loin, la rivière Nemiskau les fait entrer dans la « baye de Hutson ».

Trois jours plus tard, il voit un navire et deux bâtiments abandonnés par les Anglais. Il pactise avec les Amérindiens et souligne qu’il a contribué à la paix qui règne depuis cinq ans avec l’Iroquois : « je lui ay ravy son Pakamagan, sa hache d’arme, & méme j’ay retiré du feu tes deux filles, & beaucoup de tes parens ; à la bonne heure vivez en paix, & en asseurance, je te rends ton païs, d’où l’Iroquois t’avoit chassé. Peschez, chassez, & trafiquez par tout, & ne craignez plus rien. »

Le retour vers Québec débute le 6 juillet. Trois jours plus tard, les armes du roi de France sont arborées sur « la pointe de l’île qui coupe » le lac Nemiskau. Le 1er août 1672, Albanel quitte Chicoutimi en direction de Québec.

Prisonnier des Anglais

Si Charles Albanel s’est rendu jusqu’à la baie d’Hudson, il n’en a pas rapporté l’assurance que les Autochtones de cette région refuseraient de commercer avec les Anglais. Que Charles Albanel soit alors âgé de 57 ou 60 ans n’empêche pas Frontenac de croire que le missionnaire est encore l’homme de la situation. Albanel repart donc pour la baie d’Hudson à la fin de l’été 1673. Il ne revient dans la colonie que le 22 juillet 1676. Trois jours plus tard, il est nommé supérieur de la mission Saint-François-Xavier (De Pere, Wisconsin).

En 1679, les Relations des Jésuites avaient brièvement évoqué les péripéties entourant le deuxième voyage d’Albanel à la baie d’Hudson : « il y a souffert tout ce qu’on peut s’imaginer et en suite il fut pris par les anglais qui estoient à la baye d’hutson, enmené en Angleterre, et puis en France […] » Les Anglais vont lui consacrer plus d’intérêt et laisser planer un doute quant à sa fidélité envers les autorités de la colonie. Arrivé épuisé à la baie d’Hudson et virtuellement incapable de reprendre la route en sens inverse, le missionnaire leur aurait demandé asile. Ce n’est qu’après avoir obtenu une lettre de ses supérieurs visant à lever le doute sur d’éventuels soupçons de traîtrise qu’il est revenu dans la colonie. Charles Albanel est décédé au Sault Sainte-Marie, le 11 janvier 1696, âgé de 80 ou de 83 ans…